Renaissance Numérique, think tank que je co-préside, a participé à l’atelier organisé par le Parti Socialiste à La Cantine le 20 juin dernier et était présent lors du discours sur le numérique de Martine Aubry au 104 le 22 juin. Le think-tank est également intervenu lors de la convention UMP sur le numérique qui s’est tenue hier à l’auditorium du palais Brongniard. L’occasion pour « RN » de décrypter et comparer les deux approches.
1. Le numérique sur le devant de la scène : un sujet désormais incontournable
Nous nous sentions bien seuls, chez Renaissance Numérique en 2007, lorsque nous clamions que les politiques devaient s’intéresser au numérique, qu’une transformation majeure de la société était en cours, que l’économie était en train d’être bouleversée, que l’accès pour tous à l’internet devait préoccuper tous les décideurs publics.
Le temps a passé. Les politiques ont évolué. Désormais, le numérique s’inscrit au premier plan des préoccupations politiques. Ce n’est pas pour rien que Martine Aubry en a fait le grand thème de ses dernières déclarations avant l’annonce de sa candidature. Ce n’est pas pour rien que l’UMP a répliqué avec une convention en grande pompe sur le sujet.
Coté PS, les proches de Martine Aubry ont organisé des ateliers de travail le 20 juin dernier à La Cantine. Cette rencontre a permis de déboucher sur un certain nombre d’axes et quelques voies pour des mesures à peaufiner. Deux jours plus tard, la Première Secrétaire du PS publiait une tribune intitulée « La France connectée » dans laquelle elle dressait ses ambitions pour le numérique (lire la tribune ici). Le soir-même, elle prononçait un discours fleuve sur le sujet au 104.
Coté UMP, la députée Laure de La Raudière, a organisé une convention mardi 28 juin à l’auditorium du Palais Brongniard intitulée « Révolution numérique : le meilleur reste à venir ». Deux tables rondes se sont succédées, réunissant de grands noms de l’internet français, dont Renaissance Numérique pour parler de net citoyen. Un document présentant 4 grands axes déclinés en 45 mesures a été distribué à toutes les personnes présentes (l’événement était ouvert à tous, non aux seuls militants UMP). Jean-François Copé, Secrétaire Général de l’UMP, ainsi que Éric Besson, ministre de l’économie numérique, étaient présents.
2. Les grandes lignes
Pour ce qui est du parti socialiste, les 3 thèmes développés à la Cantine étaient :
la cité numérique
les droits et libertés numériques
l’entrepreneuriat
Dans sa tribune, Martine Aubry a particulièrement mis en avant :
le potentiel économique du secteur numérique
un « droit à la connexion »
le déploiement du très haut débit
le démantèlement de la Hadopi et l’instauration de la licence globale
la création d’une Fondation eDémocratie
l’aide aux PME numérique via le statut JEI et la mise en place d’un Small Business Act
Pour l’UMP, 4 grands axes ont été travaillés :
« l’internet neutre partout et pour tous »
« une politique qui mise sur la responsabilité des acteurs »
« une formation renforcée afin de lutter contre l’illettrisme numérique »
« faire de la France un leader mondial dans l’économie numérique »
Ces quatre piliers étant déclinés en 45 propositions.
3. Les grands clivages
Hadopi et licence globale
C’est certainement l’élément qui a été le plus repris dans les médias : la volonté de Martine Aubry de démanteler la Hadopi (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet).
Pour la socialiste, l’aspect répressif / pédagogique est un échec et il faut trouver une solution nouvelle et juste pour allier liberté sur internet et rémunération des artistes. Pour cela, elle propose l’instauration d’une licence globale : tout le monde doit contribuer au financement de la création, à commencer par les citoyens qui devront mettre la main à la poche lorsqu’ils payeront leur abonnement internet. Ainsi, Martine Aubry entend mettre fin à « la guerre contre les internautes qui partagent ».
EN RESUME : Licence globale et partage des œuvres VERSUS hadopi et lutte contre le partage illégal
L’UMP est jusque là opposée à l’instauration d’une licence globale. Il faut, selon le parti de droite, privilégier la pédagogie, quitte à passer par du répressif, plutôt que de réfléchir à un modèle radicalement nouveau de financement de la création.
Déploiement des infrastructures
Les deux partis s’opposent également de façon frontale sur le modus operandi du déploiement très haut débit. Même si la couverture de tous les Français représente un objectif commun des deux formations, le PS semble faire plus confiance à l’État (au public) pour déployer les réseaux, qu’au privé (ce que prône l’UMP).
En effet, afin selon eux de gagner en temps, en efficacité et en justice sociale, les socialistes ont proposé que soit instauré un opérateur public qui aura pour mission de fibrer le territoire national. Il pourra établir des partenariats public/privé (PPP).
L’UMP pour sa part entend favoriser l’initiative privée, selon elle plus efficace. Ce qui n’empêchera pas la mise en place de PPP comme c’est actuellement déjà le cas entre opérateurs, collectivités et État.
EN RESUME : Pour déployer le très haut débit : Faire confiance au public dans une logique centralisée (PS) VERSUS faire confiance au privé dans une logique décentralisée (UMP)
L’E-éducation
Le programme du PS est pour l’instant très lacunaire sur la place à accorder à l’éducation et au numérique. Comment repenser l’éducation à l’ère numérique ?
Du coté de l’UMP, 10 des 45 mesures proposées sont consacrées à la place de l’éducation et de la formation au numérique. Il s’agit donc d’un enjeu considéré comme essentiel.
Toutefois, il faudra des moyens considérables ainsi que beaucoup de volontarisme politique pour faire advenir l’école 2.0. Sur les dernières années, force est de constater que cette volonté politique a cruellement manqué.
4. Points d’accord
La neutralité d’internet et son inscription dans la loi semble être un objectif des deux grands partis. On se rappelle que le rapport transpartisant co-rédigé par les députées Laure de La Raudière (UMP) et Corinne Erhel (PS) préconisait cette mesure
L’aide aux startups : financement et aide au décollage du chiffre d’affaires des PME numériques sont au programme des deux partis, notamment via l’instauration d’un Small Business Act (SBA : le principe est de réserver une partie des commandes publiques aux PME, comme c’est le cas aux Etats-Unis depuis 1953). Pourtant, aujourd’hui, un SBA n’est pas envisageable en raison des accords passés à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Renaissance Numérique, qui a travaillé sur cette question, dévoilera ces prochains jours des propositions sur ce sujet particulier.
Filtrage et blocage : même si c’est l’UMP qui a majoritairement voté des lois censées se passer de l’intervention d’un juge pour bloquer ou filtrer un site internet, les deux partis semblent aujourd’hui avoir compris que ni la liberté d’expression ni les citoyens ne pouvaient s’accorder avec des mesures autoritaires et non contrôlées par la justice de blocage et de filtrage.
5.Approches et méthode
Les approches sur internet semblent en partie reproduire les schémas de 2007. Même si cette impression reste à confirmer au fil des prochains mois, l’UMP a une approche plutôt organisationnelle d’internet et des réseaux sociaux. Il est possible d’envoyer des contributions sur le site du parti mais l’essentiel du fond est produit en interne.
Coté PS en revanche, l’approche paraît plus participative : le programme issu des ateliers de travail à la Cantine est librement amendable en ligne. Il semble être fait appel plus au citoyen qu’au militant.
Même si l’UMP a promis hier un rendez-vous prochain à la Cantine, les lieux sont également symboliques de ces approches :
la Cantine pour le PS (espace de travail collaboratif, dimension modeste)
la Bourse pour l’UMP (plus travaillé sur la forme, plus prestigieux voire « show off".
6. Répercussions médias
Les médias se sont largement intéressés à la tribune de Martine Aubry en particulier pour sa sortie contre la Hadopi et pour la licence globale. De très nombreux médias traditionnels l’ont ainsi reprise (Libération, Le Monde, 20 minutes, France Soir, etc.) mais également les citoyens via Twitter : « Aubry » est ainsi devenu un « trend topic » (sujet parmi les plus cités sur Twitter).
De même ; « umpnum » (le mot-clé utilisé sur le réseau Twitter pour parler de la convention UMP), a fait son entrée dans les « trend topics » 45 minutes seulement après le début de la convention UMP. Les reprises presse ont été moindres que pour la tribune de Martine Aubry mais il est intéressant de noter que sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux, ces deux événements ont été très largement couverts et commentés.
En complément, un article de l’Expansion consacré à la comparaison des programmes de l’UMP et du PS :
http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/le-match-ps-ump-des-programmes-numeriques_257934.html